Vous trouverez tous les textes que Zola a consacrés à l'art sur le site des Cahiers Naturalistes Nous les donnons dans leur intégralité et nous les commentons en détail. Nous renvoyons, chaque fois que c'est possible, aux images des œuvres citées. Nous proposons également un index des artistes cités par Zola et nous leur consacrons, à chacun, une page de spéciale.
Vous y trouverez dans cette rubrique une présentation des ''Lettres Croisées'' entre Cézanne et Zola qu'Henri Mitterand vient de publier chez Gallimard
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On reconnaît ici "L'Histoire des peintres" de Charles Blanc et les premières œuvres romanesques et critiques de Zola, en particulier "Pour Manet", le texte paru dans "La Revue du XIXe siècle", le 1er janvier 1867.
C'est en remerciement de cette étude biographique et critique, dans laquelle Zola affirme hautement que la place de Manet est "marquée au Louvre", que le peintre a fait son portrait, exposé au Salon de 1868.
Patricia CarlesIl faut lire Les Lettres croisées publiées par Henri Mitterand - livre admirable qui devrait rétablir la vérité sur l’amitié entre Cézanne et Zola -, pour en finir avec la vulgate dont le film de Danièle Thompson, Cézanne et moi, reprend les sempiternels lieux communs.
Comme nous le disions en 2014 à propos de la réception de L’Œuvre par les commentateurs en vue, « lorsqu’il s’agit de Zola, la critique perd tout sens critique ». On n’en finit plus de célébrer en Cézanne le « génie » que le philistin Zola, « ne [comprenant] pas grand-chose à la peinture », aurait méconnu, le « révolutionnaire » de la forme que le « bourgeois » Zola aurait « socialement » - voire « physiquement » -, assassiné, le « contemporain de Rimbaud » avec lequel n’aurait pu « coexister » l’auteur des Rougon-Macquart ! Le procès, quasiment stalinien, va jusqu’à dénier au romancier le statut dont il jouit dans le champ littéraire : « Il faudra un jour s’interroger sur la place que Zola occupe dans l’histoire idéologique de la littérature française, s’exclame Marcelin Pleynet en 2010, sur la vulgarité du naturalisme dont il se fait le chantre (notamment à la fin de L’Œuvre) et sur ce qui le rend aujourd’hui encore intouchable ».
Si « histoire idéologique » il y a, c’est bien pourtant celle qui oppose « la vulgarité du naturalisme » aux fulgurances précubistes de Cézanne, celle qui tait les engagements douteux du peintre pour mieux délégitimer le républicain Zola, le défenseur de Dreyfus, le champion du matérialisme athée et le pourfendeur de la bigoterie. Car nos bons apôtres ont garde de rappeler que Cézanne – à la fin du siècle -, avait épousé les partis-pris de l’Eglise catholique, qu’il était sous la coupe d’un jésuite et qu’il avait rejoint le camp des antidreyfusards (ceux-là mêmes qui, probablement, assassineraient Zola en 1902), toutes choses que rappelle salutairement Henri Mitterand dans l’épilogue magistral de ces Lettres Croisées ! Il est pour le moins paradoxal de voir les maîtres-penseurs de la critique moderne (et, à leur suite, Danièle Thompson) sanctifier Cézanne « l’héritier » (que la mort de son père met à la tête d’une petite fortune dès 1886) aux dépens du « déshérité » Zola. Zola, faut-il le rappeler, orphelin sans le sou, est le fils de ses œuvres ! Cézanne est le fils d’un banquier (ce que nul ne songerait à lui reprocher), ancien fabricant de chapeaux et pingre sans doute, mais un banquier qui lui a toujours alloué une pension !
Pour opérer un tel renversement des faits et de la logique, il fallait fabriquer une légende noire - mâtinée de psychanalyse à deux sous - dans laquelle Zola jouerait le rôle du traître de mélodrame, il fallait faire de L’Œuvre le casus belli qui allait emporter l’amitié des deux hommes. Et pour faire bonne mesure, il fallait instruire rétrospectivement le procès à charge, camper un Zola, dès l’origine, « fratricide ». Or, comme le montre Henri Mitterand, cette lecture ne tient pas un instant contre les faits, la correspondance des deux amis, de 1858 à 1887, en est la preuve éclatante ! Si certaines lettres de Cézanne ont disparu, on ne peut affirmer pour autant que Zola les ait détruites par indifférence, voire, par mépris du peintre, contrairement à ce que prétend Antoine Vollard ; beaucoup de lettres de Zola ont également disparu sans qu’on songe à faire les mêmes reproches à Cézanne. Quant au témoignage d’Emile Bernard, il date de 1904, en un temps où, de l’aveu même de celui-ci, Cézanne était en proie à « la misanthropie » ; aigri, chassé à coups de pierres par les gamins qui voyaient en lui un lamentable « père-fouettard », le peintre, gagné par le ressentiment, se serait plaint alors amèrement de la manière dont Zola l’aurait traité : il ne l’aurait reçu qu’avec « condescendance », il l’aurait ridiculisé dans L’Œuvre pour mieux établir sa propre « gloire ». Que ces « témoins » appartiennent eux-mêmes au camp antidreyfusard et vouent une haine farouche à Zola semble n’avoir pas même effleuré les critiques qui, aujourd’hui, reprennent ces fables à leur compte….
Contrairement à ce qu’on répète à l’envi, Zola n’a jamais omis de citer Cézanne et de le valoriser envers et contre tout quand il en avait l’occasion, quitte à forcer les événements. Cézanne est exclu du Salon ou il n’y expose pas ? Qu’à cela ne tienne, Zola qui commente l’exposition officielle, prendra des chemins de traverse pour faire l’éloge de sa peinture ! Si les premiers biographes du peintre, qui n’ont pas lu les Notes parisiennes dans Le Sémaphore de Marseille, l’ignorent, nos modernes critiques n’ont aucune excuse : les Ecrits sur l’art de Zola sont disponibles en librairie et sur la toile !
Il suffit de lire les lettres publiées par Henri Mitterand pour se rendre compte de l’indéfectible amitié que Zola voue à Cézanne tout au long de sa carrière. Que le peintre sollicite la rédaction d’une brochure élogieuse pour venir en aide au musicien Cabaner, qu’il lui demande d’allouer une somme mensuelle à Hortense Fiquet ou qu’il lui confie un testament olographe pour la mettre à l’abri du besoin et parer, si nécessaire, à une tentative familiale de captation d’héritage, qu’il l’entretienne de sa liaison éphémère avec une mystérieuse Aixoise et le prie de lui servir de boîte-aux-lettres, Zola répond toujours présent. Et si Cézanne a dû attendre, parfois, avant d’être reçu à Médan, où toutes les chambres étaient déjà occupées par d’autres convives, si les Zola ont évité de mêler l’ombrageux personnage à la « bonne société », il n’en a pas moins été accueilli à bras ouverts, chaque année ou presque, pendant de longues semaines dans la résidence campagnarde de l’écrivain : « J’ai ici Cézanne depuis trois semaines […], écrit par exemple le romancier en 1882. Je crois qu’il part pour le Midi dans une quinzaine de jours ». Le style de ses lettres, souvent fort académique, contraste d’ailleurs avec les propos orduriers que lui prête le film de Danièle Thompson et son extrême politesse à l’égard de « Madame Zola » cadre mal avec l’hypothèse d’une ancienne liaison entre lui et Alexandrine : « mes respects à Gabrielle » est la seule familiarité qu’il se permette, le 30 juin 1866, pour la femme de son ami. « On a raconté là-dessus n’importe quoi, écrit Henri Mitterand, qu’elle avait été un modèle de la petite bande de peintres que Cézanne fréquentait, et qu’elle était d’abord passé dans les bras de ce dernier ; que Zola l’aurait enlevée à Guillemet… Pas une ombre de preuve. »
Venons-en, enfin, à cette réplique de Guillaume Canet dans le rôle de Zola - « depuis quand est-ce que tu me serres la main ? » -, censée démontrer une fois pour toutes que les deux amis étaient en froid et qu’ils auraient bel et bien rompu après et à cause de L’Œuvre. La découverte de la lettre de réception de La Terre aurait dû dissiper le malentendu, pour ne pas dire « les mensonges », de la vulgate anti-zolienne. Or, l’histoire de notre temps nous l’a montré à maintes reprises, il est de la nature de l’idéologie de ne jamais céder devant les faits : voilà donc la lettre de Cézanne convoquée pour étayer la thèse qu’elle aurait dû renverser ! Nous l’avions dit dans notre analyse du film, cette formule, loin d’être une marque de froideur, est au contraire une preuve de chaleureuse amitié : c’est celle que Zola emploie déjà dans ses lettres de jeunesse à l’égard de Paul. Les lettres de Cézanne, que nous n’avions pas encore lues et que nous avons découvertes dans le livre d’Henri Mitterand, confirment pleinement notre sentiment : la formule apparaît dès 1858 sous la plume du peintre et on n’en compte pas moins de 43 occurrences dans la correspondance ! Quoi qu’on en dise, la brièveté et le style convenu des deux dernières lettres (écrites après l’envoi de L’Œuvre, en 1886, puis celui de La Terre, en 1887), ne dénotent aucunement la rancœur. Le ton général, les périphrases « l’auteur des Rougon-Macquart », l’invocation des souvenirs de jeunesse, sont bien ceux que l’on observe sous la plume de Cézanne dès les premiers envois de Zola, alors qu’il ne pouvait être question de brouille.
Il faut d’ailleurs être bien naïf et bien peu respectueux de Cézanne pour lui prêter un tel ressentiment contre l’auteur de L’Œuvre ! Comme en témoigne amplement cette correspondance, le peintre a une réelle intelligence de la littérature de son temps. Il a lu Le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac, il n’ignore rien des accointances supposées du génie et de la folie : comme l’observait Alain Pagès dans la conférence qu'il a donnée au Colloque Zola et moi, il s’est déjà reconnu dans le personnage de Germain Rambert, le peintre raté de La Proie et l’ombre, sans en tenir rigueur à l'auteur, Marius Roux. Cézanne sait parfaitement que Zola a inscrit son portrait d’artiste dans le projet « généalogique » des Rougon-Macquart dont il accepte sans aucun doute les présupposés.
Reste le jugement sur « le grand peintre avorté », « mot terrible », concède Henri Mitterand. La phrase de Zola, qu’il faut lire tout entière, ne fait pourtant qu’entériner le long purgatoire qu’a subi le peintre, incompris du public jusqu’au début des années 90, au grand dam de l'écrivain : il célébrait « [son] ami, [son] frère, Paul Cézanne, dont on s'avise seulement aujourd'hui de découvrir les parties géniales de grand peintre avorté ». Ce jugement rencontre d’ailleurs celui que Cézanne, désespéré de ne pouvoir « réaliser » et se comparant au Frenhofer de Balzac, portait sur lui-même en 1904 devant Emile Bernard : « Un soir que je lui parlais du Chef-d’œuvre inconnu et de Frenhofer, le héros du drame de Balzac, il se leva de table, se dressa devant moi, et, frappant sa poitrine avec son index, il s’accusa, sans un mot, mais par ce geste multiplié, d’être le personnage même du roman. »
Comme nous avons tenté de le montrer dans la conférence que nous avons consacrée à cette question, naturalisme et « impressionnisme » (Cézanne, n’en déplaise à la critique moderne, se revendique de ce terme à défaut d’en trouver un autre) sont bien deux expressions jumelles d'une même esthétique et Henri Mitterand démontre de manière lumineuse combien sa peinture est proche de la littérature de Zola, dans ses principes, dans sa palette et dans son rythme.
Un grand livre, donc, à lire absolument, pour tous les amoureux de Cézanne et de Zola, qui voudraient enfin voir leurs « deux noms en lettres d’or » briller « unis […] dans cette fraternité de génie » que Zola appelait de ses vœux dès 1860….
A l’occasion de l’anniversaire de la naissance d’Emile Zola, le 2 avril 1840, nous vous proposons de suivre la visite au Louvre de L’Assommoir à travers quelques extraits du CD-Rom que nous avons consacré au Musée Imaginaire d'Emile Zola :
La Galerie Française et le Radeau de la Méduse
La Galerie d’Apollon et le Salon Carré
Le tour du Salon : Les Noces de Cana, La Joconde, L’Antiope, La Vierge de Murillo
La maîtresse du Titien (Flore) et la Belle Ferronnière
Les Ecoles italienne et flamande
La Kermesse de Rubens
Nous vous invitons aussi à découvrir l'espace Zola dans notre Lycée-Musée, une création qui donnera peut-être des idées à nos collègues en activité...